Voilà maintenant 52 ans que mon éternité a commencée. 52 ans que mon errance a débutée. 52 ans que je cherche ma place dans ce monde où mon statut de sang-mêlé m’isole et m’exclut. Mon père est un vampire issu du clan du sud qui a eu pour idée de folâtrer avec une humaine sans se soucier des conséquences que cela pouvait avoir. Autant dire que je ne porte pas cet être dans mon cœur, et le fait qu’il soit un vampire n’a rien à voir avec la choucroute. C’est juste qu’il a agi comme le dernier des cons. Quand il a su que ma mère était enceinte, il l’a
gentiment repoussée. En gros il lui a dit de ne plus jamais pointer le nez devant lui et que, si elle voulait garder le môme, il ne le reconnaitrait jamais et ne voulais pas en entendre parler. Merci P’pa, c’est vraiment trop gentil.
Après y avoir longuement réfléchi, ma mère a décidé de mener sa grossesse à terme et de me faire don de la vie. Je lui en ai voulu pendant longtemps… Et maintenant, je m’en veux de lui en avoir voulu.
La vie n’est pas simple pour une humaine élevant seule, et en secret, un sang-mêlé. Malgré cela, et bien que profondément blessée par le rejet dont elle a été victime, ma mère m’a toujours aimé du plus profond de son cœur et me le témoignait à la moindre occasion.
Mais cela ne me suffisait pas. Je voulais absolument savoir qui était mon père, pourquoi il n’était pas à la maison, est-ce qu’il ne nous aimait pas, etc… Elle m’a donc inventé un père. Un père aimant mais qui ne pouvait pas être à nos côtés parce que nous étions sa famille illégitime. J’étais donc heureux même s’il n’était pas là. J’étais heureux parce que j’étais persuadé que, quel que soit l’endroit où il était, il pensait à nous.
Et puis j’ai déchanté.
Ma mère est tombée malade. J’étais jeune. Même pour un humain. Adolescent. J’étais naïf et bercé de douces illusions. J’ai décidé d’aller voir mon père. Ma mère ne m’avait pas caché son identité, juste la vérité sur ce qu’il pensait de nous.
Est-ce que vous savez quel bruit fait l’innocence quand elle se brise ? Quand, à la place d’un petit garçon plein d’espoir c’est un adolescent meurtri et désabusé qui s’en revient chez lui ?
Je n’étais pas idiot. Je savais bien que ma situation n’avait rien d’ordinaire mais… Me prendre la vérité en pleine face m’avait bien secoué et je me suis mis à me refermer, à m’éloigner de ma mère qui avait pourtant besoin de mon amour. Si je n’avais pas été si con, j’aurai pu adoucir ses derniers jours.
La sagesse vient avec le temps.
Je n’ai compris que trop tard qu’elle avait créé ce mensonge pour me protéger, ne pas me faire de peine. Je devrais plutôt dire que je ne l’ai accepté que trop tard. Après l’avoir perdu. Ce mensonge était un geste d’amour. Je ne compte plus le nombre de fois où elle s’est excusée alors que je m’enfermais dans le silence. Elle me disait qu’elle était désolée, qu’elle voulait me dire la vérité mais n’arrivais pas à se résoudre à briser mes rêves, etc…
J’ai appris que la vie ne fait pas de cadeau. Et ma vie n’est pas simple de par ma nature. Comme qui dirait, j’ai le cul entre deux chaises. Je ne suis ni tout à fait l’un, ni tout à fait l’autre. Juste assez différent pour être mis au ban de tous les côtés.
J'ai du apprendre à me débrouiller seul. A ne compter que sur moi-même. Je me suis jurer de ne jamais reproduire les erreurs du passé. De veiller sur ceux qui me sont chers pour ne pas les perdre. Je me suis aussi promis de ne jamais ressembler à mon géniteur.
J’essaye donc de me fondre dans la masse. Instinctivement, j’essaye de ressembler à n’importe quel être humain. Sûrement parce que c’est l’une d’eux qui m’a élevé. Sans mes canines un trop longues, on y croirait presque. J’ai donc pris l’habitude de peu sourire. Et quand c’est le cas, je ne dévoile jamais ma dentition. Ou par erreur.
Au final ma vie n’est pas si mal. Tant que j'arrive à cacher mes origines, tout ira bien. J’essaye de voir les choses du bon côté même si ce n’est pas facile tous les jours. Je ne suis pas malheureux. Peut-être un peu résigné.